La Preuve par 7, qui accompagne le projet du « Passage à niveau » (Béthune) porté par l’association L’ENVOL, Arts et Transformation Sociale, s’est rendue sur place le 27 octobre, au dernier jour d’un atelier projet avec des étudiantEs en master de l’École nationale supérieure d’architecture Paris-Malaquais.
La pluie a au moins un avantage : elle fait faire des rencontres. Ainsi de Maryvonne et Chantal, deux octogénaires venues s’abriter à l’intérieur du « Passage à niveau ». Elles viennent chaque semaine dans cet ancien supermarché désaffecté planté au milieu de la cité cheminote de Béthune qui a rouvert en juin grâce à l’association L’Envol. Cette dernière, magnifiquement baptisée « centre d’art et de transformation sociale » accompagne des jeunes en difficulté pour reprendre pied grâce à l’art et au théâtre. Elle a convaincu la mairie de racheter l’ancien supermarché et de la laisser l’occuper deux ans durant. L’Envol a donc déménagé ses bureaux d’Arras à Béthune et a rouvert le lieu aux habitantEs en s’y installant en tant que permanent.
Une « boîte à chaussures », un parking et un terrain en friche ne constituent peut-être pas, à première vue, un patrimoine désirable. Mais pour les habitantEs de la cité voisine, il était un lieu de rencontres et d’échange. Ce patrimoine a donc au moins un atout, comme le note Bruno Lajara, metteur en scène et délégué général de l’Envol : « Les habitants avaient déjà identifié le lieu, donc ils y viennent tous les jours et posent des questions ». Parmi eux, Maryvonne et Chantal qui s’écrient : « Ça m’aurait révolté qu’on le détruise ». L’Envol compte bien sur elles et sur les habitantEs alentour pour éprouver une programmation ouverte du lieu ainsi redécouvert, plein de tous les possibles.
La semaine dernière, en partenariat avec la Preuve par 7, l’équipe de l’association accueillait une vingtaine d’étudiantEs de l’école d’architecture Paris-Malaquais encadréEs par Catherine Clarisse et CONSTRUIRE – NICOLE CONCORDET, architectes, aux fins de montrer que des projets d’expérimentation comme « Le Passage à niveau », lieu d’application concrète, peuvent être le creuset de pédagogies alternatives et de terrain. Nicolas Selva, paysagiste enseignant cette année à l’école d’architecture et du paysage de Lille sur la conversion des friches urbaines en végétal, les accompagnait dans la découverte du lieu et du quartier. « Le premier usager d’un espace, explique-t-il, c’est tout le vivant qui y prend place et il n’a pas de limite ». Ainsi du lierre qui tombe d’un faux plafond. Ou des herbes folles qui se faufilent entre le macadam du parking, premier espace du « Passage à niveau » que l’on pourrait renaturer pour que l’espace extérieur soit en cohésion avec ce qu’il se passe à l’intérieur. Mais plutôt que d’en détruire le bitume pour y amener des dizaines de mètres cube de terre et y planter de nouvelles essences, pourquoi ne demanderait-on pas plus sobrement aux habitantEs de la cité jardin voisine de confier à ce nouveau lieu commun un peu de leur mémoire ? Un ancien cheminot a déjà apporté quelques boutures et un autre, qui cultive dans son jardin une douzaine de variétés de vigne, a accepté d’en donner quelques sarments. Le paysagiste les appelle des espèces pionnières. Comme autant d’histoires qui se transmettent. Sur ce pouvoir des récits populaires, le philosophe Walter Benjamin employait justement une métaphore végétale, les comparant à « ces graines enfermées hermétiquement pendant des millénaires dans les chambres des pyramides, et qui ont conservé jusqu’à aujourd’hui leur pouvoir germinatif ».
Au cours de la semaine, les étudiantEs ont rencontré un apiculteur et un horticulteur. Et jeudi dernier, ils partent dans les rues de la cité cheminote, dont nombre de maisons vont être démolies, pour relever la mémoire de ces jardins ouvriers et de celles et ceux qui les ont couvés. Ils et elles sonnent aux portes et discutent avec les habitantEs de leurs plantes ou de leur potager. L’une d’elles leur confie un yucca. Ils et elles récoltent des graines et herborisent. Le jardin devient un premier sujet de conversation, moins intimidant que l’architecture, et comme un premier pas vers le bâtiment. Car l’image est saisissante d’une mémoire ouvrière délaissée qui fleurit un ancien lieu désaffecté maintenant rouvert. Le paysagiste montre un endroit du parking où, grâce à l’absence de circulation, une flaque a pu accueillir du pollen qui a fait naître une plante. « Le temps de la nature est long, bien plus long que celui de la politique et de la commande publique » dit-il. Qu’importe : Bruno Lajara confie penser à ce projet pour trente ans. Le temps est avec elles et eux. Cela, les étudiantEs l’ont bien compris, chez qui les outils de la permanence architecturale et de la programmation ouverte ont essaimé autant que les graines des jardins.
Merci à L’ENVOL, Arts et Transformation Sociale et École nationale supérieure d’architecture Paris-Malaquais
Ainsi qu’à Pôle métropolitain de l’Artois, Béthune, Euralens et Ecole Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Lille